mercredi 29 août 2012

Quelques considérations de rentrée ... et de nouvelles pièces de collection servant à l'histoire de la librairie ancienne et moderne Charles Bosse à Paris.


Ce message est le 1.101ème message posté sur le Bibliomane moderne ! Qui l'eut cru ? Certainement pas le père Lustucru ! Quoi qu'il en soit, même si cela devient difficile de faire aussi bien et autant qu'à ses débuts, le Bibliomane restera pour moi (et pour vous je l'espère), une belle aventure. Les publications se font plus rares, et pour cause, je suis carrément infidèle aux Bibliomanes pour aller me réfugier dans les jupons des dames d'Octave Uzanne. Ah l'Octave ! Il m'occupe celui-là ! Et plus qu'il ne faudrait ! Et plus qu'il ne devrait ! Mais c'est ainsi, quinze ans au moins que je ne démords pas que ce bonhomme avait du chien ! Que sa vie devait être passionnante et passionnée ! Qu'il recelait sans aucun doute plus d'un mystère, et sous sa plume féconde, et sous sa robe de bure de faux-moine perverti par la beauté et l'art de plaire chez les femmes. J'en découvre de jours en jours. Et ce n'est pas fini !

Il n'y aura pas de livres publiés pour le moment ni de si tôt d'ailleurs, sauf peut-être un livre d'images, c'est à voir. Car j'ai bien peur que publier prématurément sur l'Octave, c'est faire fi de s'attendre à des rebondissements biographiques inouïs ! des découvertes de dernière minute qui font boum ! Alors restons sages, humbles, rangeons au placard toute forme d'égotisme mal placé et donnons à ceux que cela intéresse, c'est à dire finalement très peu de monde (et ce n'est sans doute pas plus mal), chaque jour, ou presque, un petit morceau de pain à grignoter. Qui une uzannerie par ci, qui une uzannerie par là. Et le puzzle petit à petit prendra forme, sans manque, sans erreurs, mais ce sera long, très long (et c'est ça qui est bon).

Nous verrons bien ce qu'il adviendra de tout ça. J'essaye de lutter contre l'idée préconçue et anti-moderniste qui voudrait faire croire à la majorité (qui le croit volontiers d'ailleurs), qu'écrire dans un blog n'a pas la même valeur que d'écrire un livre. Je m'insurge contre cela ! Il y a parfois tant d'âneries dans un livre, de choses caduques, obsolètes, erronées, non corrigées, etc., que son auteur aurait sans doute eu meilleure vue d'opter pour la forme blog. Mais que voulez-vous, il y a encore de ces réflexes qui font du nom d'un auteur en haut de première de couverture un panthéon incomparable. J'aime laisser à d'autres ces petits délices éphémères et qui sont, j'en suis convaincu, une sorte de tartuferie moderne. Mais laissons cela et passons à ce qui nous occupe aujourd'hui.

Ne faudrait-il pas être bien maniaque pour commencer une collection de cartes de voeux de libraires !? Je crains fort avoir attrapé ce virus aliénant. Vous souvenez-vous, il y a de cela presque une année, lorsque je vous parlai pour la première fois de la librairie Charles Bosse ? J'avais commis un billet illustré sur cette libraire parisienne qui m'avait interpellée au détour d'une vieille carte postale : Les devantures de librairies anciennes en images par la carte postale : la librairie ancienne & moderne Charles Bosse (1871-1944). Tel était le titre du billet publié le 7 décembre 2011. J'avais réitéré avec un autre billet sur cette même librairie : Charles Bosse, libraire et Joseph Uzanne, journaliste, vous présentent leurs meilleurs voeux pour la nouvelle année. Billet publié le 3 janvier 2012. Je vous laisse lire ou relire ces deux billets pour vous remettre en mémoire la petite histoire de cette grande librairie parisienne. Si j'en crois les commentaires et les messages reçus à l'époque de la parution de ces deux billets, cette petite histoire avait intéressé de nombreux lecteurs du Bibliomane moderne. Quid depuis ? Et bien le hasard et la persévérance un peu aveugle et forcément entêtée a fait son oeuvre. Deux nouvelles acquisitions viennent désormais compléter ce petit tableau de la librairie Charles Bosse. Ce sont deux cartes de voeux qui sont venues rejoindre ma collection. La première, de format carte postale, a été imprimée pour les voeux de la nouvelle année 1903. Elle est imprimée en noir, et représente deux dames assises dans une librairie, la première âgée et la deuxième jeune et portant beau l'habit neuf. La vieille date porte en bas de sa robe la date de 1902 et la jeune la date de 1903. Belle métaphore du temps qui passe et des années qui filent ... Cette jolie carte a été coloriée à l'époque à l'aquarelle à la main, sans doute au pochoir. Le dessin est signé A. COSSARD / 02. (il doit s'agir d'Adolphe Cossard, né en 1880, ici âgé donc de 22 ans seulement, sans doute ses débuts d'artiste décorateur-peintre). L'adresse de la librairie est au 46 rue Lafayette à Paris. Cette carte de voeux est imprimée sur un beau papier vélin chiffon épais de type Whatman.


La deuxième est atypique. Il s'agit d'une eau-forte, imprimée sur beau papier vélin chiffon de type Arches, épais. Seulement son format n'est pas celui d'une carte de voeux mais celui d'un in-4 ! Elle mesure 28,5 x 21,5 cm). Il s'agit donc, sans aucun doute d'une eau-forte originale destinée à être ensuite réduite et peut-être même a être reprise en photogravure. Ce serait donc une épreuve d'artiste, ou épreuve d'essai, assez rare, ou pas. Il n'y a aucune mention ajoutée à l'épreuve. On ne pourra donc que conjecturer dans l'infini avant de rencontrer un autre exemplaire de cette même gravure, sans doute dans un format réduit. Cette carte de voeux est pour la nouvelle année 1911. Je vous laisse regarder le sujet, assez complexe (il semblerait qu'il montre la rue Lafayette en grands travaux, avec une passerelle improvisée pour se rendre dans la librairie Bosse, des trous, des tas de terre, des chevaux au travail, des engins élévateurs à l'arrière-plan - il faudrait chercher dans la documentation urbaine de la ville de Paris, il a du y avoir de grands travaux de voierie dans cette rue à la fin de l'année 1910). La gravure est signée G. TRILLEAU. G. Trilleau, ça me disait bien quelque chose ... et effectivement, le Bibliomane avait évoqué cet artiste au détour d'un livre érotique illusré. Le billet s'intitulait : Description d'un joli livre illustré érotique : La Matinée libertine ou les Moments bien employés par Andréa de Nerciat. Pointes sèches de Legendre. Je vous invite à le lire ou relire ICI. Une très belle eau-forte donc, de beau format, un sujet peu commun, pour une acquisition qui ma foi contenta pleinement son bonhomme !

Ce n'est qu'un début de collection bien sûr et peut-être demain s'arrêtera-t-elle tout net ici, sans aller plus avant. Mais je gage qu'il doit bien rester encore quelques belles cartes de voeux de la librairie Charles Bosse à découvrir ... et je crois bien que je vais persévérer encore quelque temps. Et puis il y a aussi Conquet, Lemerre, Jouaust, Lemonnyer, et tant d'autres libraires qui ont dû faire imprimer artistement plus d'une belle carte de voeux dans leurs belles carrières respectives.  Qui sait ? Peut-être même en avez-vous quelques unes sous votre oreiller sans vouloir confier ce terrible secret à personne ? ...

Bonne soirée
Bertrand Bibliomane moderne

mardi 21 août 2012

L'objet mystérieux du jour. Alors ? C'est quoi ?


Alors ? C'est quoi ?

Bonne soirées,
Bertrand Bibliomane moderne

Actualités des livres et des bibliothèques : « La Divine Comédie» a disparu... (la bibliothèque des Girolamini de Naples).


Gravure représentant Dante (fin du XIX e siècle) (SIPA)


Voici un excellent article d'investigation rédigé avec tout le sel nécessaire à une telle Affaire ! Je vous laisse découvrir le(s) larcin(s) ...

Où sont passés les milliers d'ouvrages qui faisaient la fierté de la Bibliothèque de Naples ? Pendant des mois se sont affairés un directeur escroc, un curé intégriste, une étrange Ukrainienne, des conseillers de Berlusconi et... un chien.


C'est l'une des plus belles et des plus anciennes bibliothèques du monde. Nichée au coeur de Naples, immense et somptueuse, avec ses interminables rayonnages de bois grimpant jusqu'au plafond. Ses voûtes couvertes de fresques. Ses 32 fenêtres qui font tomber une étrange lumière sur des tables extraordinairement larges. Un temple baroque qui abrite près de 160 000 ouvrages.
Un décor à la Borges, propice aux rêveries et aux mystères. La bibliothèque des Girolamini - ou «la Girolamini», disent les Napolitains comme pour mieux rendre hommage à sa beauté - trône au milieu de la ville depuis 1586. Ses murs vieux de plus d'un demi-millénaire portent l'empreinte de générations de bibliophiles. Une fois franchie la porte, on s'attend à croiser un moine sorti tout droit du «Nom de la rose». On imagine les lecteurs fiévreux qui ont défilé, dans un silence religieux, devant le manuscrit enluminé de «la Divine Comédie» de Dante, les tragédies de Sénèque ou les oeuvres du roi de Prusse... On les voit échafaudant de sombres stratagèmes pour emporter un incunable ou une édition rare. Quel amoureux des livres ne s'est pas fantasmé, un jour ou l'autre, en voleur de manuscrit ?

Un historien donne l'alerte

Mais Marino Massimo De Caro, le directeur de l'inestimable bibliothèque, n'est pas un rêveur. C'est un pragmatique. Avant d'être nommé à la tête de l'institution napolitaine, ce quadragénaire rondouillard a été médiateur d'affaires louches au Venezuela et en Argentine. Il ne ressemble en rien à ces collectionneurs fanatiques, prêts à se damner pour assouvir leur dévorante passion. Et pourtant... Il a fait ce qu'aucun bibliophile n'a jamais osé imaginer: il a méthodiquement vidé la Girolamini et mis la main sur ses volumes les plus précieux. Désormais, la bibliothèque est devenue «scène de crime». Partout des scellés ont été posés. Depuis le 20 avril, seuls les enquêteurs ont le droit de pénétrer. Ils essaient de démêler les fils d'une histoire folle où l'on croise des sommités internationales du marché de l'art, des hommes politiques douteux, et même un curé véreux. Un polar tragi-comique dont l'Italie post-berlusconienne a le secret.
Tout commence le 28 mars dernier. Ce jour-là, un respectable professeur d'histoire de l'art de l'université de Naples, Tomaso Montanari, se présente à 9 heures pétantes Via Duomo, à l'entrée de la bibliothèque. Ce spécialiste du baroque au regard farouche est un chercheur pointilleux, qui ne badine pas avec l'argent public. Il a notamment écrit un essai, «A cosa serve Michelangelo?» («A quoi sert Michel-Ange ?»), pour dénoncer l'achat par le gouvernement Berlusconi d'un crucifix attribué, à tort selon lui, au célèbre peintre. La relique a coûté la bagatelle de 3 millions d'euros. En cette fin mars, donc, Tomaso Montanari a décidé de visiter les archives de la Girolamini, qu'il sera amené à fréquenter régulièrement pour son prochain sujet d'étude. Il est accueilli par le conservateur, don Sandro Marsano, un prêtre intégriste à la barbiche noire qui dit encore la messe en latin. Le curé est bien embêté: les archives menacent ruine et, hélas, elles ne sont plus accessibles. En revanche, il veut bien amener l'universitaire dans la salle Vico, joyau de la Girolamini, avec ses rayonnages si riches et ses proportions vertigineuses. Montanari ne se fait pas prier. Et que voit-il dans cette fameuse salle ?
Eh bien, je vois d'abord une splendide blonde, qui s'avérera être une Ukrainienne, en tenue de jogging! Elle traverse la salle avec son beauty case à la main pour se rendre aux toilettes: c'est donc qu'elle a dormi là.»
Mais l'historien n'est pas encore au bout de ses surprises. Il entend le curé barbichu demander aimablement à la pulpeuse créature: «Bien dormi? Est-ce que le professore est réveillé?» Le «prof essore»? C'est Marino Massimo De Caro, le directeur. «De Caro est réveillé, raconte Tomaso Montanari, puisque, en tenue de jogging lui aussi, il feuillette de précieuses éditions du XVIe siècle. Je note alors l'extrême désordre qui règne dans la salle, les livres empilés n'importe comment sur des tables ou carrément à terre, au milieu de bouteilles de Coca-Cola. C'est à ce moment qu'entre un chien, un os de jambon dans la mâchoire, qui se met à déféquer sous une table!» Circonstance aggravante, fait remarquer l'universitaire, le chien est nommé «Vico, comme la salle, et comme le philosophe Giambattista Vico», qui aida les pères oratoriens, fondateurs de la bibliothèque, à constituer leurs premiers fonds de livres. Montanari est indigné. Avant de quitter les lieux, il tombe sur l'aide-bibliothécaire, qui accumule les contrats précaires depuis près de trente ans et qui semble soudain pressé de se confer. Ce que celui-ci raconte est à peine croyable: un jour, explique l'employé, il s'est aperçu que De Caro avait fait désactiver les caméras de surveillance dans les salles de lecture, et aussi que des livres disparaissaient à vue d'oeil. Il a alors branché son ordinateur sur les caméras des couloirs, que son supérieur avait oublié de débrancher. Aujourd'hui, il dispose de huit vidéos, plus accablantes les unes que les autres pour le directeur.
L'historien, abasourdi, court chez les carabiniers de la Tutelle des Biens culturels, lesquels lui avouent crûment: «Tout le monde sait que ce Be Caroest un délinquant, mais il est aussi un conseiller du ministre de la Culture et nous ne pouvons rien contre lui.» Tomaso Montanari comprend qu'il doit frapper un grand coup. Le 30 mars, il prend sa plume et écrit un texte incendiaire, «Des souris, des hommes et des livres», pour le quotidien «Il Fatto quotidiano». Il balance tout ce qu'il a vu. L'état déplorable de la bibliothèque, Vico le philosophe transformé en Vico le chien (symbole selon lui de l'«assassinat prémédité de l'identité italienne»), le directeur en jogging et les preuves filmées de sa «cleptomanie»... Ce coup de gueule réveille l'Italie. Très vite, les intellectuels se mobilisent. Umberto Eco en tête (qui possède lui-même près de 50 000 livres). Dès le 12 avril, une pétition adressée au ministre des Biens culturels réclame la création d'une commission d'enquête. Les 4 500 signataires, dont le prix Nobel Dario Fo, la romancière Dacia Maraini, l'historien Carlo Ginzburg, se disent «blessés et humiliés» par ce pillage éhonté et exigent que «tous les livres jusqu'au dernier soient rendus à la collectivité». Très vite aussi, un procureur du parquet de Naples est saisi. Et quel magistrat! Giovanni Melillo, 52 ans, longtemps spécialiste du crime organisé, est également amateur de livres anciens. Il y a moins d'un an, cet homme cultivé et visiblement fasciné par les rayonnages de la Girolamini - a participé à un colloque prémonitoire sur la «sauvegarde du patrimoine culturel». Le dossier ne pouvait tomber en de meilleures mains.

Vider une bibliothèque: mode d'emploi

Le magistrat bibliophile commence par visionner les vidéos de l'employé espion. Il y voit De Caro charger, à l'heure de la fermeture, des caisses de livres ou des sacs de sport bourrés de manuscrits sur des camions stationnés devant la bibliothèque. Ses complices? La jeune Ukrainienne que le professeur Montanari avait vu batifoler dans la salle Vico, un couple d'Argentins, un Italien. Tous payés entre 100 et 200 euros par jour, ou plutôt par nuit de travail. Les enquêteurs ont aussi remonté la piste à l'étranger, et notamment en France, où réside l'un des sbires de De Caro. Ils soupçonnent aussi le curé conservateur, déjà poursuivi à Gênes pour possession de 11 volumes dérobés à la bibliothèque de l'archevêché... De Caro avait tout prévu, tout organisé. Sans doute avant même sa nomination à la Girolamini.
Il prend ses fonctions le 1er juin 2011. Le 3, les caméras sont désactivées ! A Vérone, il a loué des entrepôts où il stocke son butin. Après avoir soigneusement effacé toute marque de reconnaissance, il revend les coûteux manuscrits sur le marché international des collectionneurs. Certaines éditions rares atterrissent même dans de prestigieuses maisons d'enchères. Christie's en met vingt-huit sur son catalogue. Dont un Dante de 1502 et neuf volumes en parchemin de 1757. Lorsque le scandale éclate, l'établissement londonien s'empresse de les restituer (ou plutôt de trouver un arrangement avec De Caro, qui se précipite à Londres, quelque temps avant son arrestation, pour racheter le fruit de ses larcins et tout rapporter à Naples). Christie's dénonce également auprès du parquet de Naples son concurrent munichois, Zisska, qui détient, lui, près de 400 livres, tous volés à la Girolamini. La justice ordonne, dès le 24 mai, l'arrêt de la mise en vente et la restitution du lot à l'Italie.
Combien d'ouvrages se sont-ils volatilisés dans la razzia? Sans doute des milliers. A ce jour, 2 327 seulement ont été retrouvés. Certains sont estimés à un million d'euros. Parmi les portés disparus: l'original enluminé de «la Divine Comédie», un exemplaire rare de «l'Encyclopédie» de Diderot et d'Alembert, la «Jérusalem libérée» du Tasse, éditée à Paris en 1610, la «Teseida» de Boccace, des oeuvres de Sénèque, Virgile et Lucrèce. Une équipe de six personnes est actuellement chargée de dresser l'inventaire. Une tâche titanesque, puisque les 159 700 volumes de la bibliothèque ont été laissés dans un désordre indescriptible, mangés par la poussière et parfois attaqués par les mites. Ils n'ont, de plus, jamais été correctement répertoriés: on connaît l'existence de certains livres extraordinaires seulement parce que des chercheurs les ont vus autrefois, ou parce que des auteurs célèbres, comme Benedetto Croce, en ont parlé. Les inspecteurs du ministère des Biens culturels, envoyés par le gouvernement dans le cadre de la commission d'enquête, décrivent une Girolamini saccagée et une «situation désespérante».
Depuis le 15 mai, Marino Massimo De Caro est derrière les barreaux, accusé de détournement de biens publics, de «dévastation de patrimoine» et sans doute bientôt d'«association de malfaiteurs». Il risque quinze ans de réclusion. Avant de partir en prison, il n'a pas hésité à menacer par téléphone l'historien de l'art qui avait donné l'alerte: «Je ruinerai votre carrière; je ruinerai votre vie.» Aujourd'hui, depuis sa cellule de Poggioreale, près de Naples, il reconnaît avoir «emporté» certains des ouvrages dont il avait la garde, mais «moins qu'on ne dit». Il jure qu'il a «volé pour sauver la bibliothèque». Et affirme contre toute évidence: «Je réinvestissais l'argent ainsi obtenu dans la sauvegarde des livres restants.» Il se défend et il attaque, multipliant les lettres vengeresses contre cette «gauche caviar»,ces «intellectuels qui lui donnent des leçons» mais dont, à l'entendre, les «salons sont pleins de livres volés à la Girolamini». Le directeur félon est sans vergogne. Il en a vu d'autres.

Un escroc de haut vol à l'italienne

Le CV de l'ex- directeur, exhumé à la faveur du scandale, fait en effet froid dans le dos. «Nommer ce Be Caro à la tête de la Girolamini, c'était comme mettre un rat dans un fromage», dit amèrement son dénonciateur Tomaso Montanari. Il se prétendait titulaire d'une licence passée à Sienne. En réalité, il n'a aucun diplôme d'études supérieures, excepté celui «obtenu dans une obscure université privée argentine en échange de quatre livres et d'une météorite», disent aujourd'hui ses «pairs». L'ex-directeur a-t-il appris sur le tas? Ses rapports avec les livres anciens n'ont en tout cas rien de scientifiques. C'est le commerce qui l'intéresse, et depuis toujours. Ou plutôt le trafic. Longtemps propriétaire d'une librairie à Vérone, il a déjà été accusé à Florence du recel d'un incunable du XVesiècle, et aurait été impliqué, avant d'être blanchi, dans des vols à la Bibliothèque nationale de Madrid, mais aussi à Saragosse. Ajoutons, pour parfaire le tableau, qu'il s'honore, sans que l'on sache pourquoi, du titre de «consul honoraire du Congo» et qu'il occupe le poste de vice-président dans une société de parcs éoliens appartenant à l'oligarque Viktor Vekselberg, charge pour laquelle il touche 500 000 euros par an...
Un mythomane en affaires avec les Russes, un présumé trafiquant international de livres à la tête de la Girolamini, ce sanctuaire du savoir... on se pince! Faut-il accuser le hasard, l'incompétence de l'administration, la bêtise ? Le parquet explore une autre hypothèse. Celle du complot, du dessein criminel prémédité. La mise à sac de la bibliothèque n'a-t-elle pas commencé dès la nomination de De Caro ? «Comme si la Girolamini avait été choisie exprès en raison de son extraordinaire vulnérabilité», dit le magistrat Melillo. Fréquentation quasiment nulle depuis des décennies, gestion plus que problématique par un religieux, absence de catalogage sérieux des oeuvres. Il s'agit bien d'une«extrême faiblesse des fonctions de contrôle dans la sphère des biens culturels». En clair, le cambriolage a peut-être été, sinon organisé, du moins toléré en haut lieu. Par ceux-là mêmes qui ont introduit le «rat dans le fromage».
De Caro, qui fut aussi conseiller au ministère de l'Agriculture, puis de la Culture, appartient à la faune berlusconienne. Son sponsor ? Le sénateur Marcello Dell'Utri. Ce septuagénaire, bras droit du Cavaliere, avec qui il a fondé l'empire Mediaset, a été récemment condamné pour fausses factures, falsification de bilan et fraude fiscale. Mais il est aussi grand bibliophile devant l'Eternel. On le dit disposé à commettre toutes les folies pour agrandir sa collection. Est-il l'ordonnateur occulte du hold-up perpétré dans la bibliothèque ? Ce sera aux juges d'établir ses responsabilités. «Quoi qu'il en soit, l'affaire Be Caro est bien le produit de vingt ans de berlusconisme», dit Francesco Caglioti, professeur à l'université Federico II. Partout, les biens culturels ont été abandonnés, spoliés ou privatisés, mais surtout considérés comme quantité négligeable. Comme si le fait de posséder 50% du patrimoine mondial exonérait l'Italie de tout devoir de protection. Sans parler de Pompéi ou de L'Aquila, nombre de monuments, de musées ou de bibliothèques sont en danger de mort. Souvent, pour pallier les carences de l'Etat, c'est l'Eglise qui occupe le vide - comme à la Girolamini. Dans le même temps, les crédits gouvernementaux et les postes de fonctionnaires affectés à la protection du patrimoine fondent comme neige au soleil. La sécurité des sites est négligée. Marchands, bandits, profanateurs de tout poil ont la voie libre. La voilà, la vraie leçon de la Girolamini: «Ne pas défendre un patrimoine, c'est une invitation implicite à le piller», dit l'historien Salvatore Settis.
La bibliothèque a été sauvée in extremis. Aujourd'hui, Mauro Giancaspro, auteur de «l'Odore dei libri» («l'Odeur des livres») et de «il Morbo di Gutenberg» («la Maladie de Gutenberg»), qui a dirigé pendant dix-sept ans la Bibliothèque nationale de Naples, est à son chevet. Il tente de réparer les dégâts. Il a été nommé le 7 juin directeur, et le nouveau conservateur, Umberto Bile, est un laïc. Tomaso Montanari et les universitaires partis en croisade pour protéger la «vieille dame» ne se sont pas battus pour rien. Tout est bien qui fint bien? Pour le moment. Une question, pourtant, revient toujours, insidieuse: pourquoi faut-il qu'en Italie ce soient toujours des bonnes volontés individuelles qui finissent par sauver l'intérêt national ?
Marcelle Padovani

Source: le "Nouvel Observateur" du 12 juillet 2012

lundi 20 août 2012

Octave Uzanne témoin du duel qui opposa le jeune Marcel Proust au critique littéraire et homme de lettres Jean Lorrain (6 février 1897).

Bien que publié ce jour sur le Blog Octave Uzanne, j'ai pensé que ce petit billet de rentrée pouvait intéresser les bibliomanes et autres bibliophiles en vacances ou déjà revenus au travail.

Bonne lecture à toutes et à tous,
Bertrand Hugonnard-Roche
Bibliomane moderne



Dans le journal Le Gaulois du dimanche 7 février 1897, dans la colonne Faits du Jour, on pouvait lire :

"A la suite d'un article de Restif de la Bretonne (Jean Lorrain), paru récemment dans le Journal, M. Marcel Proust, s'étant jugé offensé, a adressé ses témoins, MM. Gustave de Borda et Jean Béraud, à l'auteur. M. Jean Lorrain a chargé ses amis, MM. Octave Uzanne et Paul Adam, de ses intérêts. Les témoins se sont rendus chez M. Jean Béraud et, après avoir discuté toutes les chances de conciliation sans avoir pu arriver à une entente, une rencontre a été jugée nécessaire. L'arme choisie est le pistolet de tir. Deux balles seront échangées ; la distance sera de vingt-cinq pas et le duel aura lieu au commandement. Pour M. Marcel Proust : MM. Gustave de Borda et Jean Béraud. Pour M. Jean Lorrain : MM. Octave Uzanne et Paul Adam. En conformité du procès-verbal arrêté le matin entre les témoins de MM. Marcel Proust et Jean Lorrain, ces messieurs se sont rencontrés, assistés de leurs amis, dans les environs de Paris où le duel a eu lieu. Deux balles ont été échangées sans résultat et les témoins, d'un commun accord, ont décidé que cette rencontre mettait fin au différend."

Voici l'article publié par Jean Lorrain (*) dans Le Journal du 3 février 1897 et qui déclencha la colère du jeune Marcel Proust et le duel qui s'ensuivit :

"D’ailleurs, l’amateurisme des gens du monde. Un livre commis par l’un d’eux, livre autour duquel grand bruit fut mené l’autre printemps, me tombe entre les mains. Préfacé par M. Anatole France, qui ne put refuser l’appui de sa belle prose et de sa signature à une chère madame (il y avait tant dîné), ce délicat volume ne serait pas un exemple-type du genre, s’il n’était illustré par Mme Madeleine Lemaire. Les Plaisirs et les Jours, de M. Marcel Proust : de graves mélancolies, d’élégiaques veuleries, d’inanes flirts en style précieux et prétentieux, avec, entre les marges ou en tête des chapitres, des fleurs de Mme Lemaire en symboles jetés, et l’un de ces chapitres s’appelle : La mort de Baldassare de Silvande, le vicomte de Silvande. Illustration : des feuilles de roses (je n’invente pas). L’ingéniosité de Mme Lemaire ne s’est jamais adaptée aussi étroitement à un talent d’auteur ; M. Paul Hervieu, et son Flirt, n’avaient certainement pas inspiré aussi spirituellement la charmante peintresse. C’est ainsi qu’une histoire de M. Proust, intitulée : Amis : Octavian et Fabrice, a pour commentaires deux chattes jouant de la guitare, et une autre, dite Rêverie couleur de temps, s’illustre de trois plumes de paon. Oui, madame, trois plumes de paon ; après cela, n’est-ce pas, on peut tirer l’échelle. On trouve aussi dans Ces Plaisirs et ces Jours un chapitre intitulé : Mélancolique villégiature de Mme de Bresve, de Bresve, grève, rêve, oh ! la douceur fugitive de ce de Bresve, et trois héroïnes qui s’y ornent des noms charmants d’Heldemonde, Aldegise et Hercole, et ce sont trois Parisiennes du pur, du noble faubourg. Le fouet, monsieur. M. Marcel Proust n’en a pas moins eu sa préface de M. Anatole France, qui n’eût pas préfacé ni M. Marcel Schwob, ni M. Pierre Louÿs, ni M. Maurice Barrès ; mais ainsi va le train du monde et soyez sûrs que, pour son prochain volume, M. Marcel Proust obtiendra sa préface de M. Alphonse Daudet, de l’intransigeant M. Alphonse Daudet, lui-même, qui ne pourra la refuser, ni à Mme Lemaire ni à son fils Lucien."

Marcel Proust et les duels, pour la petite histoire qui éclaire la grande.

"C'est Proust qui demanda à ce que son honneur soit lavé après que l'éditorialiste Jean Lorrain, écrivain décadent à l'outrance et malicieux, eût publié une critique particulièrement acerbe de son premier livre, Les Plaisirs et les Jours. Il ne s'agissait pas seulement de son propre honneur, mais aussi de celui d'une dame du monde, Madeleine Lemaire, qui réalisa les illustrations de l'ouvrage, de Reynaldo Hahn, qui composa une musique pour cette oeuvre, et d'Anatole France, qui en écrivit l'avant-propos; l'oeuvre fut qualifiée de surfaite, et son prix d'excessif. Proust était rongé d'anxiété avant le duel, d'abord parce qu'il craignait qu'il n'eût lieu à l'aube, heure à laquelle il se couchait habituellement. Un fois que 3 heures de l'après-midi fût adopté comme une heure raisonable entre les témoins, le calme de Proust amusa tout le monde. C'était un jour pluvieux à la Tour de Villebon que ce 3 Février 1897, jour où les antgonistes se rencontrèrent, chacun muni d'un pistolet car aucun des deux n'était en condition physique suffisante pour se battre à l'épée. Après avoir tiré chacun deux fois et manqué leur coup, les témoins déclarèrent un match nul. Extatique (sans doute d'avoir évité une blessure), Proust souhaita serrer la main de son adversaire, mais en fut discrètement dissuadé par ses amis." (source et suite de l'article : P. Segal - En ligne)

Ce duel entre Marcel Proust (26 ans) et Jean Lorrain (42 ans) est bien connu dans l'histoire littéraire et a donné lieu à de nombreux articles de presse depuis l'évènement jusqu'à nos jours. Voici par exemple un article publié dans Le Point du 6 février 2012 : 6 février 1897 : Proust fait le coup de feu dans le bois de Meudon. Quel homme !

Si l'histoire littéraire a retenu les témoins de Marcel Proust, Gustave de Borda et Jean Béraud, répétés à l'envie dans les récits qui ont été fait de ce duel, les noms d'Octave Uzanne et de Paul Adam, amis très proches de Jean Lorrain, sont eux aujourd'hui beaucoup moins reconnus. On imagine pourtant sans peine Octave Uzanne, dans la forêt de Meudon, 46 ans, dans ses plus beaux habits, tout à la fois observateur et acteur de cette scène de duel presque anachronique.

Il nous reste à trouver quelques avis émis par Octave Uzanne sur l'homme Marcel Proust et son oeuvre littéraire. Nous n'avons pas encore trouvé de tel témoignage. Nous citerons cependant le passage relatif à ce duel inséré dans Jean Lorrain, l'Artiste, l'Ami (Les Amis d'Edouard, 1913) :

"Cependant, lorsqu'on lui demandait compte d'une opinion de presse par lui publiquement exprimée, il en revendiquait aussitôt avec une crânerie fort spontanée toute la responsabilité et ne refusait certes point de s'aligner honorablement en champ clos. Je fus un jour l'un de ses témoins en compagnie de Paul Adam, alors que le champion d'une déplorable peintresse de haute réputation, dont il attaqua avec raison les oeuvres plutôt pitoyables et la mondanité réclamière, s'était présenté pour soutenir l'honneur de la dame. Jean Lorrain se montra , je m'en souviendrai toujours, d'une jolie et coquette bravoure naturelle, sans aucune forfanterie. Il alla sur le pré, dans le bois de Meudon, à l'Ermitage de Villebon, en faisant, tout au long de la route, montre d'une sérénité et d'une gaieté sans pareille. Ce nerveux savait se dominer ; il marchait au pistolet ou à l'épée, comme un gentilhomme qu'il était dans les moelles, sentant tout le ridicule du préjugé auquel il sacrifiait. (...)"

Comme on peut le lire ci-dessus, Marcel Proust n'est nommé par Uzanne que comme leChampion d'une déplorable peintresse de haute réputation.

(*) Jean Lorrain (1855-1906) a eu une existence tapageuse. Il a fréquenté la bohême (Richepin, Moréas, Rollinat), a provoqué maints scandales ; il affichait son homosexualité, aimait explorer, dans ses chroniques – redoutées – au vitriol le vice et la vulgarité. Spasmophile cardiaque et grand absorbeur d’éther, il subit amendes, procès et duels (dont un avec Marcel Proust) avant de mourir de syphilis. Il a écrit des poèmes d’inspiration parnassienne, quelques romans et de très nombreuses nouvelles dont Contes d’un buveur d’éther, section de Sensations et souvenirs (1895), où l’on trouve Une nuit trouble : « Avez-vous lu la Nuit d’orage de Maurice Rollinat? sa Nuit d’orage passée dans l’atmosphère lourde et vénéneuse d’une chambre de campagne hantée de vieux portraits, de vieux portraits hostiles aux clairs regards fixes, aux minces sourires froids, et ses obsessions morbides de misérable, dont le raisonnement sombre et que le surnaturel va ensorceler. Les vers de ce diable de Rollinat m’en ont singulièrement rajeuni. Eh bien ! cette nuit de fièvre et d’épouvante, moi, qui ne suis ni superstitieux ni nerveux, je l’ai vécue dans des circonstances si étranges qu’il faut, ma foi, que je vous la raconte. » » et Le Possédé : « Et pourtant, il faut que je parte, je retomberais malade dans ce Paris fantomatique et hanté de novembre ; car le mystérieux de mon cas, c’est que j’ai la terreur non plus de l’invisible, mais de la réalité. » A propos de Jean Lorrain, lire la courte biographie donnée par son ami Octave Uzanne : Jean Lorrain, l'Artiste, l'Ami, Les Amis d'Edouard, 1913.

mercredi 1 août 2012

De l'amour discret du livre de collection... par François-Philippe Hollier | 30/07/2012 (LA TRIBUNE)


Emmanuel de Broglie lors d'une vente de livres anciens à l'Hôtel Drouot.

Éditions rares, souvenir des éblouissements livresques de l'enfance, fascination des hommes illustres, reliures exceptionnelles... l'amour discret du collectionneur de livres anciens se nourrit et se magnifie dans le silence d'une quête incessante.

À une époque où l'on ne parle plus que de « dématérialisation » des contenus, et où le livre virtuel, celui que l'on peut lire sur une tablette, semble promis au plus bel avenir, nous sommes un certain nombre à cultiver une pathologie singulière : la passion du livre ancien. Et nous poussons le vice jusqu'à tenter de la faire partager au plus grand nombre, y compris auprès de ceux pour lesquels cette idée de collectionner de vieux manuscrits ou des éditions rares apparaît comme à la fois saugrenue et inutile. Puisqu'un grand journal économique nous offre la possibilité de défendre notre cause, et même si l'idée d'acheter des livres pour réaliser un bon placement n'est pas la motivation première de ceux qui se livrent à cette dévorante passion, saisissons notre chance et tentons d'argumenter.

L'histoire et la culture des hommes

Un livre, c'est d'abord une émotion : une reliure rare, l'édition originale d'un livre qui a marqué l'histoire de la littérature, comme Les Fleurs du Mal de l'éditeur belge Poulet-Malassis, en 1857 ; un manuscrit qui a été manipulé par un personnage historique d'exception, comme l'exemplaire personnel de Louis XV de l'Almanach royal de 1749 ; une première relation de voyage dans une édition originale, comme le recueil de Monsieur Thévenot, édité à Paris en 1682, qui contient une carte de l'« Amérique septentrionale » réalisée en 1663, ainsi que la première carte du fleuve « Mitchisipi », comportant des indications de lieux, tels « nations qui ont des chevaux et des chameaux » ou « ils ont des fusils ». Posséder l'un de ces livres, c'est être le dépositaire d'un petit extrait de l'histoire et de la culture des hommes, veiller sur lui avec un soin jaloux afin qu'il poursuive son voyage de pèlerin de la connaissance et du savoir. Commencer une collection de livres anciens est chose aisée. La marchandise est abondante et les façons d'entrer dans ce passionnant voyage peuvent être très diverses. Certains sont frappés dès leur plus tendre enfance, comme Emmanuel de Broglie, l'un des experts français les plus reconnus, qui a acheté son premier livre à 14 ans. Que dit-il des livres anciens, cet homme qui passe une bonne partie de son temps au milieu d'eux ?
Le livre ancien est un objet ouvert à tous. Il faut juste trouver un thème et le creuser. Cela peut être les reliures, et l'on recherchera alors les travaux les plus anciens, les plus rares, en tentant de remonter le temps jusqu'à l'aube des livres. Mais cela peut être aussi les éditions originales des livres qui ont marqué votre jeunesse, le théâtre de Molière par exemple, même si l'on n'en connaît presque aucune édition originale ; une édition d'époque de Guerre et Paix en langue russe, les livres d'heures manuscrits, d'avant le temps de l'imprimerie ou imprimés avant la veille de Pâques de l'an 1500 (les incunables), comme cette édition flamande, datée de 1428, conservée dans sa reliure d'origine, et illustrée de dix-sept miniatures, qu'Emmanuel de Broglie a expertisée à l'occasion d'une vente récente. Mais il connaît des collectionneurs qui se focalisent sur un seul sujet, tout ce qui été écrit sur l'affaire Dreyfus, par exemple, ou les livres illustrés de grands artistes dans les années 1920-1930, et signés de relieurs hors pair, comme L'Histoire de la princesse Boudour de 1926, une reliure Art déco remarquable, signée Paul Bonet, l'un des grands maîtres du genre. Ou encore La Prose du Transsibérien de Blaise Cendrars et Sonia Delaunay, édité à Paris en 1913, dans lequel poème, mise en page et peinture ne font qu'un, et qui a été adjugé pour 260 000 euros à Paris, le 28 mars dernier...

Le quête n'a pas de prix

La beauté du livre ancien, c'est que l'on peut éprouver la même émotion à acquérir un « almanach chantant » de 1812, intitulé Les Progrès de l'amour ou le Jeu de ses flèches, orné d'un décor de fil d'argent, pour 650 euros, ou bien Le Livre de la jungle en deux volumes de Rudyard Kipling, datés de 1924-1926, aux éditions du Sagittaire, dont la couverture est ornée d'une bande de peau de lézard... ou encore les Mémoires de sages et royales économies d'état, domestiques et militaires de Henry le Grand, écrites en réalité par Sully, imprimées dans la cave de son château en 1638, et vendus à Paris le 6 avril dernier pour 400 euros. Et lorsque la quête de la rareté n'a pas de prix, alors cela donne les 2 millions d'euros acquittés par un amateur anonyme pour un album calligraphié par l'empereur Qianlong lui-même (1736-1795), l'un des grands souverains de la dynastie des Qing, daté de 1769, orné de soie, décorés de médaillons de dragons...Conseils d'Emmanuel de Broglie : si l'on veut connaître ces émotions, il faut aller voir, dans les ventes et les magasins de livres anciens, lire quelques manuels sur l'histoire du livre, de l'imprimerie, de la typographie, de la reliure, interroger ses amis, car il y a de bonnes chances pour que se cache un collectionneur discret parmi vos proches. L'amateur de livres anciens n'est pas un flambeur, il n'arpente pas les galeries parisiennes d'un air satisfait, il cherche, il regarde, il se fait tout petit devant cet objet, qui porte parfois sur lui les traces d'un destin heurté... Mais, sans lui, les hommes seraient restés des ignorants.


François-Philippe Hollier | 30/07/2012, 12:37 - 886 mots  Source internet La Tribune.fr

http://www.latribune.fr/loisirs/20120730trib000711620/de-l-amour-discret-du-livre-de-collection.html

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