vendredi 24 juillet 2009

Moult me tarde ou les bigarrures d'Estienne Tabourot dijonnois...


Estienne Tabourot
naquit à Dijon en 1549, fils de Guillaume Tabourot, avocat au parlement de Bourgogne, il fut procureur du roi au bailliage et à la chancellerie de Dijon. Les armes de la famille Tabourot étaient un tambour, autrefois appelé tabour ou tabourain. Il y joignit les mots à tous accords et c’est sous le nom de seigneur des Accords que le facétieux poète est passé à la posterité. Son œuvre la plus connue s’intitule Les bigarrures du seigneur des Accords.

Remy de Gourmont décrit cet ouvrage comme « un manuel à l’usage des poètes excentriques alors si nombreux, de ces malheureux dont la joie était de réussir une contrepèterie ou des vers rétrogrades ». Il semblerait même que ces Bigarrures soient le premier texte ou apparaît le mot contrepèterie. Selon les notes de Francis Goyet (cf. en fin d’article), l’édition princeps parut chez Jean Richer à Paris en novembre 1582, datée 1583. Le texte connut 4 versions et 5 éditions du vivant de l’auteur, toujours chez le même éditeur : 1584, 1585, 1586 et 1588 (un retirage de l’édition de 1586). Son succès de ne s’interrompra pas avec sa mort en 1590 puisque que l’on compte 19 éditions ou émissions de 1591 a 1628. Je vous présente ici l’édition de 1585, en format in-16, XVI+ 267 ff.

Mon exemplaire est malheureusement très incomplet puisqu’il me manque : le cahier signe K (feuillets 73 a 80), le cahier Y (feuillets 167 a 174), le feuillet 210 est presque entièrement déchiré et il me manque les 6 derniers feuillets. Fort heureusement, ces vilains défauts sont (presque) compensés par sa charmante reliure en peau de vieille rombière.

Reliure en vieille peau.


Page de titre.

Ce recueil est divise en 22 chapitres, traitant chacun d’une forme de jeu de langage : des rebus de Picardie, des équivoques françois, des antistrophes ou contrepèteries, des anagrammatismes ou anagrammes, des « vers lettrisez ou paranoemes », de l’écho, des vers léonins, des épitaphes, etc. L’ouvrage compte de nombreuses illustrations, j’en recense 18 pour les seuls rebus de Picardie. Le ton de l’ouvrage oscille entre grivoiserie, érudition et blasphèmes. A l’époque de la naissance de la Ligue et à l’aube de la huitième guerre de religion, la liberté d’expression est saisissante. Les nombreuses saillies anti-cléricales sont d’autant plus surprenantes que Tabourot sera en 1589 sera « promoteur commis pour la cause de la Sainte-Union » des catholiques dijonnais (après avoir longtemps refusé de chasser les protestants, la municipalité de Dijon adhéra finalement à la Ligue en 1588). Mais jugez plutôt sur pièces.

Après un premier chapitre à propos de l’invention des lettres, le Seigneur des Accords entre dans le vif du sujet avec les «Rebus de Picardie». «Ce sont peinctures de diverses choses ordinairement cognues, lesquelles proferees de suite sans article, font un certain langage.(…) Quant au surnom qu’on leur a donné de Picardie, c’est à raison de ce que les Picards sur tous les François, s’y sont infiniment pleus &delectez.»

Je reproduis ici trois «rebus de Picardie» qui valent mieux qu’un long discours:


Tabourot nous apprend que de nombreuses enseignes à Paris se présentes sous la forme de rebus : ainsi «un os, un bouc, un duc, un monde, pour dire, au bout du monde»

Le troisième chapitre traite des autres types de rebus. Ceux-ci peuvent s’écrire comme une combinaison de lettres : G.a.c.o.b.i.a.l. donne J’ai assez obéi à elle. D’autres sont subordonnés à la position des mots :

Vent vient, pire, vent.
A qui d’amour le cœur bien
.

Ce qui se transcrit par : A qui souvent d’amour souvient, le cœur soupire bien souvent.

D’autres encore mêlent mots et chiffres, je vous laisse apprécier la prose de Messer Merdachio :


Saurez-vous décrypter celui-ci, qui servit d’épitaphe aux cordeliers de Dole ? Attention il y a un mini-piège :


Le quatrième chapitre nous entretient des «Equivoques françois». Ce terme se rapporte à des phrases ou mots à double sens, ou bien encore à des jeux de mots produits par des similarités de sons dans la prononciation ou la lecture. Ainsi : «le Dieu des Medecins s’appelle Esculape, non pas de l’equivoque de ce cul hape, mais d’escu hape, pource que les Medecins pinsent volontiers.» Ce chapitre se poursuit sur les «mots coupez», quiproquos ou jeux de mots nés d’expressions raccourcies ou déformées. Par exemple, le verset du psaume In memoria aeterna erit justus peint sur une cheminée dont un angle était dans la pénombre devient: In me moria aeterna erit, ce qui signifie «En moi sera perpétuelle folie» au lieu de «La mémoire du juste vivra éternellement».

Sentant qu’il vous en tarde, je vous laisse déguster le passage sur la fameuse moutarde :

«Je viendray maintenant aux mots coupez,& commenceray par l’interpretation d’un proverbe vulgaire, pourquoy l’ondit Moustarde de Dijon, car à la verité la moustarde n’y est meilleure ny plus frequente qu’ailleurs, encor que certains larrons d’hosteliers, pour abuser le monde,& confirmer mieux ce proverbe vendent bien cher de petits barils & pains de moustarde propres à mettre dans la gibbeciere, plus pour la sensualité des curieux, que pour appetit qui y puisse estre : car pour la conglutiner il y faut entremesler de la terre grasse, &autres choses moins nettes. L’origine de ce dire donc n’a pas pris sa source de la, ains a commencé sous le Roy Charles sixiesme, en l’an 1381. lors que luy, avec Philippes le Hardy son oncle, furent au secours de Loys Comte de Flandres, beau-peredudit Duc, ou les Dijonnois, qui de tout temps ont esté tres-fideles & très affectionnez envers leurs Princes, se monstrerent si zelez, que de leur mouvement ils envoyerent mille hommes conduits par un vieil Chevalier jusques en Flandres : ce que recoignoissant ce valeureux Duc, leur donna plusieurs privileges, (…), lui donna en outre son cry (…) qui estoit, Mout me tarde. Mais comme ceste devise estoit en rouleau de la facon qu’encor aujourd’hui elle est eslevee en pierre a la porte de l’Eglise des Chartreux de Dijon, qui tire au petit cloistre du costé de Midy en ceste sorte,


Plusieurs qui la voyent, mesmes les Francois, ne prenant garde au mot de me, ou dissimulant le voir par envie, allerent dire qu’il y avoit moustarde, & que c’estoit la troupe des moustardiez de Dijon. »

Info ou Intox ? Les très-fidèles lecteurs Dijonnois pourront sans doute nous éclairer a ce sujet.

Le chapitre VIII égraine quant à lui maintes contrepèteries, aussi appelés antistrophes, sur une quinzaine de pages. Contrairement à l’usage actuel qui veut qu’on ne donne jamais la solution d’un contrepet, Tabourot les explicite juste après les avoir énoncées. Je vous livre quelques exemples, sans solution puisqu’elles sont très simples : En faisant boutons, Muer une touche, La cotte du mont, Mon cœur, Goustez cette farce, etc. La suivante est un peu plus complexe (car un peu approximative), saurez-vous la résoudre ?
Onc peureux ne fit beau fait, disoit un preneur de barils.

Tabourot extrait notamment les deux suivantes de «l’histoire veridique du grand Pantagruel : Femme folle à la Messe, est volontiers molle à la fesse et A Beaumont le Vicomte, A beau con le vi monte». Il ajoute : «Il ne fault pas scandaliser s’ils sont un peu naturalistes, car je ne scay comment il advient ordinairement & plus volontiers on se rue sur cette matiere que sur une autre ». Il conclut le chapitre savoureusement: « Il y a autres infinis jeux Damoiselets de ceste sorte, si vous les vouslez plus naisvement scavoir , addressez vous aux mieux goderonnees & attintees filles de l’eage d’entre seize & vingt ans : Car on m’a asseuré que je n’y entens rien envers elles, & qu’elles le scavent trop mieux faire que moy.»

Le chapitre IX traite des anagrammes. L’auteur nous apprend que Lycophron, dans la Grèce Antique, était fort estimé « pour ce qu’il faisoit heureusement des anagrammes ». Il trouva sur Ptolémée, Roy d’Egypte, le suivant : , c’est a dire «emmiellé ». Il poursuit : «Du temps du grand Roy François, avec les bonnes lettres, cette invention se resuscita en France, & fut trouvé sur son nom Francois de Valois, De Facon suis royal (…) et sur sa femme Alienor : La Roine. (…) estant jeune escholier au College de Bourgongne l’an 1564, je trouvay en Latin ce suyvant : Catharina e Mediceis, Henrici mei casta Dea. » Il appliqua le procédé à ses amis : Pontus de Tiard donne Tu as don d’esprit ainsi qu’à lui-même, Estienne Tabourot, et obtint : Tout en bonte seray."

Le chapitre X aborde les vers rétrogrades par lettres et par mots, ce que nous appelons aujourd’hui palindromes. Le chapitre XI a trait aux «allusions» ou «diction approchante de quelques mots», des quiproquos auditifs en quelque sorte. Il expose ici très sérieusement l’origine du mot huguenot : «De nostre temps ce mot de Huguenots, ou Hucnots s'est ainsi intronisé, quelque chose qu'ayent escrit quelques uns que ce mot vient à Gnosticis hæreticis qui luminibus extinctis sacra faciebant, selon Crinit: ou bien du Roy Hugues Capet, ou de la porte de Hugon à Tours par laquelle ils sortoient pour aller à leur presche. Lors que les pretendus Reformez implorerent l'ayde des voix des Allemans, aussi bien que de leurs armees: les Protestans estans venus parler en leur faveur, devant Monsieur le Chancelier, en grande assemblee, le premier mot que profera celuy qui portoit le propos, fut, Huc nos venimus: Et apres estant pressé d'un reuthme (rhume, NDLA) il ne peut passer outre; tellement que le second dit le mesme, Huc nos venimus, & les Courtisans presents qui n'entendoient pas telle prolation, car selon la nostre ils prononcent Houc nos venimous, estimerent que ce fussent quelques gens ainsi nommez: & depuis surnommerent ceux de la Religion pretendue reformee, Hucnos, & depuis changeant c en g, Hugnots, & avec le temps on a allongé ce mot, & dit Huguenots : & voila la vraye source du mot.» Quod erat demonstrandum.

Le chapitre suivant aborde les lettres numérales, système codé dans lequel on fait correspondre un nombre à une lettre. L’auteur cite entre autres le «renommé mathématicien» Jean Ostulsius qui démontre que le nom de Martin Luther équivaut au nombre de la bête : 666. Quid stultius est ?

Jonglant avec ironie, gauloiserie et érudition, le reste du livre se poursuit sur le même ton. Tabourot s’étend tour à tour, sur les vers rapportés, l’écho, les vers léonins, les acrostiches, les vers coupés, les vers du nez, les descriptions pathétiques, des poèmes monosyllabiques, des rimes enchaînées, etc. Il termine l’ouvrage par un florilège de savants épitaphes latins extraits de Thomas More, Aulu Gelle, Plaute, Laurent Valle, d’autres un peu plus gaulois et enfin d’autres en bourguignon. Je vous en déterre deux assez croustillants:
«En François par Clement Marot : Cy gist qui assez mal preschoit, De ces femmes tant regretté, Frère André qui les chevauchoit Comme un grand Asne debasté.»

«D’une vieille peteuse qui mourut en petant, fut fait ce vers : Uno animam crepitu Iana pepedit anus En François : Vous qui passez priez Dieu pour la Dame Qui en petant par le cul rendit l’ame. C’est une imitation de Virgile qui dit ainsi : Purpuream vomit ille animam.»

Ceci n’est qu’un aperçu en coup de vent de quelques sujets abordés dans les Bigarrures du Seigneur des Accords. Il y a évidemment beaucoup à ajouter au sujet de cette œuvre et d’Estienne Tabourot, ami de Remy Belleau, correspondant d’Estienne Pasquier, admirateur de Ronsard et Du Bellay. Les références citées à la fin de cette colonne et dans lesquelles j’ai puisé sans vergogne, vous apporteront beaucoup plus d’éléments.

Partageant le même éditeur parisien que Montaigne, certains pensent que les deux hommes se sont rencontrés. Je vous laisse imaginer leurs conversations…

A tous accords,

Denis Cracco
(a.k.a. Crane d’Occis, Ci né Accords)

Si vous voulez en savoir d’avantage sur le Seigneur des Accords, je vous recommande :

- l’edition des Bigarrures du Seigneur des Accords de 1588 reproduite en fac-simile chez Droz (1986) avec notes et variantes par Francis Goyet (en partie lisible sur google books). Les notes sont extrêmement instructives et m’ont beaucoup aidé pour cette colonne.

- Étienne Tabourot des Accords (1549-1590): étude sur sa vie et son œuvre littéraire, G. Choptrayanov (ou Soptrajanov selon la graphie), edite en 1935 a Dijon et re-edite par Slatkine en 1970.

- l’article: « Epigramme et joutes d’esprit : Estienne Tabourot » ecrit par Hope H. Glidden, Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance, annee 2000, Volume 51, Issue 51-52, pp. 153-163 accessible via ce lien : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhren_0181-6799_2000_num_51_1_2385

Estienne Tabourot est également l’auteur ou a participé aux œuvres suivantes (liste non exhaustive) :

- Premier Livre de la Synathrisie alias recueil confuz, par Jean Desplanches, imprimé à Dijon en 1567 par Jean Desplanches.

- Les Touches ou Epigrammes du Seigneur des Accords, 1585, Paris, Jean Richer.

- Les Apophtegmes du Sieur Gaulard, Gentilhomme de la Franche-Comté bourguignotte, 1586, chez Jean Richer.

- Dictionnaires des rimes françoises, A Paris chez Jean Richer, 1587.

- Les Touches, 4eme et 5eme livres, Paris, Jean Richer, 1588

- Premier livre des escraignes dijonnoises, A Paris chez Jean Richer, 1588.

jeudi 23 juillet 2009

Horreur et Putréfaction, les habitudes de lecture au Moyen-âge.


Attention ! Que les bibliophiles sensibles ne lisent pas les lignes qui suivent… certaines images peuvent choquer.

Je me suis toujours demandé comment les vieux ouvrages avaient pu franchir les siècles sans encombre car, à en croire Richard de Bury, les clercs du Moyen-âge ne les tenaient pas pour particulièrement précieux !

On trouve, au hasard des pages de nos incunables, telles ou telles marques, taches, brulures de chandelle, traces de doigt laissées par un ancien lecteur, le Philobiblion nous en explique la cause.

Le Philobiblion composé vers 1340, est le premier traité de l’amour des livres. Son auteur Richard de Bury évêque de Durhan était chancelier d’Angleterre. L’édition princeps date de 1473, la première traduction française de 1856.

Mais laissons la parole à Richard de Bury, qui n’aurait pas boudé le Bibliomane Moderne, s’il était né 600 ans plus tard.

« Il existe en effet une gente écolière fort mal élevée en général, et qui, si elle n'était pas retenue par les règlements des supérieurs, deviendrait bientôt fière de sa sotte ignorance. Ils agissent avec effronterie, sont gonflés d'orgueil et quoiqu'ils soient inexpérimentés en tout, ils jugent de tout avec aplomb.

Vous verrez peut-être un jeune écervelé, flânant nonchalamment à l'étude, et tandis qu'il est transi par le froid de l'hiver, et que comprimé par la gelée son nez humide dégoutte, ne pas daigner s'essuyer avec son mouchoir avant d'avoir humecté de sa morve honteuse le livre qui est au-dessous de lui.

Plût aux dieux qu'à la place de ce manuscrit on lui eût donné un tablier de savetier! Il a un ongle de géant, parfumé d'une odeur puante, avec lequel il marque l'endroit d'un plaisant passage. Il distribue, à différentes places, une quantité innombrable de fétus avec les bouts en vue, de manière à ce que la paille lui rappelle ce que sa mémoire ne peut retenir. Ces fétus de paille, que le ventre du livre ne digère pas et que personne ne retire, font sortir d'abord le livre de ses joints habituels, et ensuite, laissés avec insouciance dans l'oubli, finissent par se pourrir. Il n'est pas honteux de manger du fruit ou du fromage sur son livre ouvert et de promener mollement son verre tantôt sur une page tantôt sur une autre, et, comme il n'a pas son aumônière à la main, il y laisse les restes de ses morceaux. Il ne cesse dans son bavardage continuel d'aboyer contre ses camarades, et tandis qu'il leur débite une foule de raisons vides de tout sens philosophique, il arrose de sa salive son livre ouvert sur ses genoux. Quoi de plus ! Aussitôt il appuie ses coudes sur le volume et, par une courte étude, attire un long sommeil ; enfin, pour réparer les plis qu’ il vient de faire, il roule les marges des feuillets, au grand préjudice du livre.




Mais la pluie cesse et déjà les fleurs apparaissent sur la terre ; alors notre écolier, qui néglige beaucoup plus les livres qu'il ne les regarde, remplit son volume de violettes, de primevères, de roses et de feuilles; alors il se servira de ses mains moites et humides de sueur pour tourner les feuillets : alors il touchera de ses gants sales le blanc parchemin, et parcourra les lignes de chaque page avec son index recouvert d'un vieux cuir; alors en sentant le dard d'une puce qui le mord, il jettera au loin le livre sacré, qui reste ouvert pendant un mois, et est ainsi tellement rempli de poussière qu'il n'obéit plus aux efforts de celui qui veut le fermer.

Il y a aussi des jeunes gens impudents auxquels on devrait défendre spécialement de toucher aux livres, et qui, lorsqu'ils ont appris à faire des lettres ornées, commencent vite à devenir les glossateurs des magnifiques volumes que l’on veut bien leur communiquer, et où se voyait autrefois une grande marge autour du texte, on aperçoit un monstrueux alphabet ou toute autre frivolité qui se présente à leur imagination et que leur pinceau cynique a la hardiesse de reproduire. Là un latiniste, là un sophiste, ici quelques scribes ignorants font montre de l'aptitude de leurs plumes, et c'est ainsi que nous voyons très-fréquemment les plus beaux manuscrits perdre de leur valeur et de leur utilité. »




Bonne Journée, quand même !
Textor

mercredi 22 juillet 2009

Encore une bataille à coups de livres... (suite)


Pour faire écho au message de ces derniers jours concernant une bataille à grands coups d'in-folio dans la boutique du libraire Barbin, magistralement évoquée en vers par le très inépuisable et inimitable Nicolas Boileau-Despréaux, satiriste de son état et grand manieur de plume acide...

C'est un fidèle lecteur du Bibliomane moderne, Denis, qui nous suit depuis le pays du soleil levant, qui nous envoie ce soir l'image qu'il avait évoqué dans son commentaire, image extraite d'un recueil badin de la fin du XVIIIe siècle, intitulé "Le fond du sac" et publié en 1780 au format Cazin à l'adresse de Venise chez Pantalon-Phébus.

Cette jolie petite vignette se trouve en tête d'un poème intitulé "La main chaude".

Je vous laisse admirer.


Merci Denis de nous avoir communiqué cette image qui fera désormais partie de la Moderne Bibliomanothèque.

Bonne soirée,
Bertrand pour Denis

mardi 21 juillet 2009

Félicien Rops, tailleur d'imaiges.


Félicien Rops
est né à Namur en 1833, il a été un des meilleurs dessinateurs-graveurs du XIXe siècle et l'artiste belge le plus sulfureux.


En 1851, il est inscrit à la Faculté de Droit de l'Université Libre de Bruxelles (U.L.B) ; 2 ans plus tard il publie de nombreuses caricatures satiriques et politiques dans quelques journaux (en 1853 la Belgique est une terre d'accueil pour les intellectuels français victimes de la censure exercée sous Napoléon III).

En 1856, il fonde avec Charles de Coster l'hebdomadaire satirique Uylenspiegel qui paraitra jusqu'en 1864, Félicien Rops peinera à fournir à temps ses lithographies qui lui sont inspirées par Gavarni et par Daumier.

Il illustrera en 1858, pour Hetzel, Les légendes flamandes de Charles de Coster, cinq ans plus tard, Poulet-Malassis, alors exilé en Belgique, le chargera d'illustrer ses réimpressions d'œuvres galantes du XVIIIe-XIXe siècle. Rops illustrera pour lui trente quatre ouvrages, dont les Fleurs du mal, des ouvrages de Péladan, de Mallarmé et de Verlaine.

1869, il fonde la Société internationale des aquafortistes, il rencontre deux jeunes modistes, les sœurs Aurélie et Léontine Duluc, qui partageront sa vie jusqu'a son dernier souffle.


1870, il donne des cours de gravure au château de Thozée (demeure familiale qui lui vient de son épouse Charlotte, ils divorceront en 1874) ; en 1871 sa fille Claire nait de Léontine Duluc.

1878 voit la création de deux œuvres majeures : La tentation de Saint Antoine et de Pornokratie.

"Ma Pornocratie est faite. Ce dessin me ravit. Je voudrais te faire voir cette belle fille nue chaussée, gantée et coiffée de noir, soie, peau et velours, et, les yeux bandés, se promenant sur une frise de marbre, conduite par un cochon à "queue d'or" à travers un ciel bleu. Trois amours - les amours anciens - disparaissent en pleurant (...) J'ai fait cela en quatre jours dans un salon de satin bleu, dans un appartement surchauffé, plein d'odeurs, où l'opopanax et le cyclamen me donnaient une petite fièvre salutaire à la production et même à la reproduction". Lettre de Félicien Rops à H. Liesse, 1879.



1879-1885, il voyage en Hongrie, Espagne et aux Etats-Unis, ou il présente les collections des sœurs Duluc.

1888 : il s’installe en banlieue parisienne, et en 1889, il reçoit la légion d’honneur.

Page de titre des Contes à rire du Citoyen Collier,
première apparttion du célèbre fleuron réalisé pour Gay et Doucé par Félicien Rops.

1896 : Parution du numéro spécial de La plume, suite à une exposition rétrospective à l’Hôtel Drouot.

1898 : il décède entouré de ses deux amies et de sa fille Claire.

Rops était aussi un formidable épistolaire, il a laissé trois à quatre mille lettres (elles ne sont pas toutes référencées), certaines sont illustrées. Pour avoir un aperçu de sa correspondance, on se rapprochera utilement de "Trois artistes étrangers : Robert Sherard, Sattler, Félicien Rops", Par Hugues Rebell (Georges Grassal de Choffat dit…), 1901.Cinquante et une lettres y figurent.

Pour certains Félicien Rops est le peintre de la perversité, sa Gynécratie, cette femme qui chevauche un homme à quatre pattes asservi par le désir, et ce cauchemar effrayant d'une femme qui sent venir la mort au milieu de ses spasmes voluptueux, on sait que ces eaux-fortes et quelques autres encore représentent plus la maladie que la santé ; la mort et la vie se mêlent dans ses frontispices, les callipyges voisinent avec des ossements et des draperies funèbres.

Rops est très attiré par Paris, il y passera plusieurs mois par an, il deviendra un virtuose de l'eau-forte.

Il voyagera aussi beaucoup en Europe et aux Etats-Unis, à 55 ans, avec son ami Rassenfosse, ils inventent un vernis mou : le Ropsenfosse.

Rops qui pratique le triolisme, finira sa vie entouré des sœurs Léontine et Aurélie Duluc et de sa fille Claire.


Rops aura très souvent des retards dans la fourniture de ses gravures, il se justifiera en prétextant des maladies réelles ou imaginaires (1)

Certaines de ses illustrations sont inspirées de la médecine : Le massage, Spéculum, Ma goutte (qui sera une de ses maladies bien réelle), La leçon d'hygiène, Frère médecin, Médecine expérimentale (un vieux savant, aux longs cheveux, en habit noir et cravaté de blanc, a suspendu par des lanières une truie à une poutre, de manière à paralyser ses mouvements. Il abuse de l'impuissance du pauvre animal pour le saisir par la queue, de la main gauche, et, de la droite, se livrer sur lui à une expérience chirurgicale audacieuse). En guise de légende : Ne faites pas aux truies ce que voudriez pas qu'on vous fit !

Les faux (2) : Se méfier des tirages postérieurs, des épreuves aux marges ou même à la cuve taillées, voire, comme on en trouve dans le commerce, de fausses gravures tirées de livres, et auxquelles les faussaires vont jusqu'à fabriquer de fausses cuvettes. On prendra garde des monogrammes Félicien Rops en rouge, en marge de nombreuses gravures : plus de 9/10 sont des ajouts.

Rops a publié des estampes sous différents pseudonymes : William Lesly, Niederkom,...

Sources consultés :

- (1) Félicien Rops : la médecine, les médecins et ses maladies : http://www.amub.be/rmb/article.php?id=161

- (2) http://www.art-memoires.com/rops_f1.htm

Bibliographie : http://www.art-memoires.com/ropsbibliogr.htm

- (3) Trois artistes étrangers : Robert Sherard, Sattler, Félicien Rops, Par Hugues Rebell, 1901

- La Plume, numéro spécial consacré à Félicien Rops


- Jacques Duprilot-Gay et Doucé, éditeurs sous le manteau (1877-1882)

- Musée Félicien Rops à Namur : http://www.museerops.be/

- La fondation Rops à Mettet : http://www.fondsrops.org/indexfr.htm

Bonne soirée,
Xavier

lundi 20 juillet 2009

Une belle bataille à coups d'in-folio dans le Lutrin de Boileau Despréaux... chez le libraire Claude Barbin.


N'allez pas me demander pourquoi mais je cherchais l'autre jour une belle image avec des livres anciens... des reliures... des hommes... Tout ça pour vous donner en pâture une des ces belles gravures que seul souvent le hasard permet de nous mettre sous les yeux.

Et puis j'ai trouvé ! Au hasard des in-12, des in-8 et autres in-4 posés sur mes rayons, j'ai finalement trouvé ! Une belle bataille à coups de livres ! Et pas n'importe lesquels, de bons gros lourds et imposants in-folio ! Pauvres livres ! Pauvres hommes ! Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font...

Je vous la livre avec à la suite un extrait du texte qui s'y rapporte et le descriptif de l'ouvrage dans lequel la gravure se trouve.

Cliquez sur l'image pour l'agrandir et profiter des détails.

Estampe extraite de l'édition des Oeuvres de Boileau Despréaux, Paris, Esprit Billiot, 1713. In-4.
Dessinée par Gillot(**) et gravée par Duflos(***).


(...)
Par les détours étroits d'une barrière oblique,
Ils gagnent les degrés, et le perron antique
Où sans cesse, étalant bons et méchants écrits,
Barbin vend aux passants les auteurs à tout prix. (...)

Chez le libraire absent tout entre, tout se mêle :
Les livres sur Evrard fondent comme la grêle
Qui, dans un grand jardin, à coups impétueux,
Abat l'honneur naissant des rameaux fructueux.
Chacun s'arme au hasard du livre qu'il rencontre :
L'un tient l'Edit d'amour, l'autre en saisit la Montre ;
L'un prend le seul Jonas qu'on ait vu relié ;
L'autre un Tasse français, en naissant oublié.
L'élève de Barbin, commis à la boutique,
veut en vain s'opposer à leur fureur gothique :
Les volumes, sans choix à la tête jetés,
Sur le perron poudreux volent de tous côtés :
Là, près d'un Guarini, Térence tombe à terre ;
Là, Xénophon dans l'air heurte contre un la Serre,
Oh ! que d'écrits obscurs, de livres ignorés,
Furent en ce grand jour de la poudre tirés !
Vous en fûtes tirés, Almerinde et Simandre :
Et toi, rebut du peuple, inconnu Caloandre,
Dans ton repos, dit-on, saisi par Gaillerbois,
Tu vis le jour alors pour la première fois.
Chaque coup sur la chair laisse une meurtrissure :
Déjà plus d'un guerrier se plaint d'une blessure.
D'un le Vayer épais Giraut est renversé :
Marineau, d'un Brébeuf à l'épaule blessé,
En sent par tout le bras une douleur amère,
Et maudit le Pharsale aux provinces si chère.
D'un Pinchêne in-quarto Dodillon étourdi
A longtemps le teint pâle et le coeur affadi.
Au plus fort du combat le chapelain Garagne,
Vers le sommet du front atteint d'un Charlemagne,
(Des vers de ce poème effet prodigieux)!
Tout prêt à s'endormir, bâille, et ferme les yeux.
A plus d'un combattant la Clélie est fatale :
Girou dix fois par elle éclate et se signale.
Mais tout cède aux efforts du chanoine Fabri.
Ce guerrier, dans l'église aux querelles nourri,
Est robuste de corps, terrible de visage,
Et de l'eau dans son vin n'a jamais su l'usage.
Il terrasse lui seul et Guilbert et Grasset,
Et Gorillon la basse, et Grandin le fausset,
Et Gerbais l'agréable, et Guerin l'insipide. (...)

Extrait du Chant V du Lutrin de Boileau (*)

Vous pourrez lire ou relire, avec plaisir j'espère, un vieux billet du Bibliomane moderne sur le libraire Claude Barbin, que je ne me lasse pas de retrouver sur mon chemin, comme un signe des dieux bibliophiles...

"Sur ces marches se trouvait la boutique de Barbin, où eut lieu la célèbre bataille du Lutrin de Boileau. Claude Brossette raconte qu’à cause de cette bataille on appela ensuite le perron « la plaine de Barbin". (voir l'article du Bibliomane moderne évoqué ci-dessus).

D'ailleurs, pendant l'été (vous n'avez que ça à faire...) je vous invite à replonger dans les entrailles du Bibliomane moderne et à explorer en détails les archives du blog qui compte déjà plus de 300 billets ! Bonne lecture estivale.

(*) Le Lutrin est une célèbre parodie épique de Nicolas Boileau, sous-titrée « poème héroï-comique ». Tandis que les quatre premiers chants en sont antérieurs à l'Art poétique, puisque publiés entre 1672 et 1674, les deux derniers chants en virent le jour en 1683. Tout d’abord intitulé « poème héroïque » (épopée), Boileau y substitua le sous-titre de « poème héroï-comique » en 1698, sur les conseils de ses amis. Son élaboration semble due à une gageure : Boileau aurait cherché à démontrer la possibilité de faire une épopée sur des sujets aussi minces soient-ils (en l’occurrence une dispute entre un trésorier et un chantre du chapitre). Le caractère parodique de l’œuvre est à entendre dans un tout autre sens que pour le Virgile travesti par exemple. Au contraire de Scarron, Boileau ne cherche en effet pas à détourner un sujet sérieux, mais au contraire à bâtir une œuvre sérieuse sur un sujet insignifiant. S’il n’en détourne pas moins quelques canons épiques, en donnant par exemple à son poème un titre évoquant un meuble, en parodiant le fameux cano de l'Énéide de Virgile, en mettant en scène des personnages sans noblesse et des allégories pour le moins originales, comme la Mollesse, il ne sombre jamais dans le grotesque baroque. Critique, le Lutrin l’est aussi : Boileau n’y cache pas sa volonté de moquer quelques œuvres ennuyeuses de son temps, comme le Cyrus et la Clélie de Madeleine de Scudéry et d’attaquer « l’abus de l’allégorie, de la mythologie », « le goût du siècle pour l’emphase et le ton ampoulé ». (source Wikipedia).

(**) Claude Gillot né le 28 avril 1673 à Langres et mort le 4 mai 1722 à Paris, est un peintre français. Il fut peintre, graveur, illustrateur, décorateur de théâtre. Agréé à l'Académie en 1710 pour son tableau Don Quichotte, il y fut reçu en 1715 avec un tableau d'un style complètement différent, Jésus devant sa croix. Créateur de tapisseries et de panneaux décoratifs en bois qu'il ornait d'arabesques, motifs végétaux et autres figures mythologiques, il fit aussi des toiles aux thèmes anecdotiques (Les deux carrosses), ainsi qu'une série de dessins (Arlequin empereur dans la lune, Embarquement pour Cythère, inspiré de la pièce de théâtre Les trois cousines de Dancourt). Il eut Watteau pour élève entre 1703 et 1708. (Source Wikipedia).

(***) Claude Duflos, graveur en taille-douce, renommé, était né en 1665 et mort en 1727. Il travailla beaucoup pour l'édition et composa notamment de très jolis fleurons et ornements que l'on retrouve dans diverses éditions de cette époque.

Bonne journée,
Bertrand

dimanche 19 juillet 2009

L'Echo foutromane ou le mouton à cinq pattes des collectionneurs de curiosa.



L'Echo foutromane fait partie des moutons à cinq pattes des collectionneurs de curiosa du 19eme siècle.

J.P. Dutel, dans sa Bibliographie des ouvrages érotiques, publiés clandestinement en français, entre 1880 et 1920 nous signale qu'il s'agit d'une réédition d'un recueil d'obscénités paru sous la Révolution.

L'on peut trouver quelques renseignements dans Gay-Lemonnier II-55, Galitzin,530, Pia, 371, Kearney 152 et Duprilo 93 ...

Mon édition, in 8° de 83 pp est une édition clandestine, publiée par Gay et Doucé, à Bruxelles , vers 1882 ?? .. Imprimée sur un papier vergé à pontuseaux verticaux ; elle devait contenir 5 à 7 gravures qui manquent la plupart du temps. Mon exemplaires renferme 5 estampes découpée et contrecollée sur papier fin du japon qui sont particulièrement explicites.

Cet ouvrage présente la même typopgraphie que les Etrenne aux Fouteurs (A Sodome et à Cythère, publiées par les mêmes éditeurs).

Au dos du faux titre : Imprimé exclusivement pour les membres de la société des Bibliophiles Aphrodiphiles de Bâle, par Muller Beermanson, typographe à Saint-Gall.

Le titre complet est :

L'Echo foutromane ou Recueill de plusieurs scènes / lubriques et libertines : contenant / les épreuves de l'abbé Dru / le secret de madame conlèché ( sic) ; l'entrevue de Mademoiselle Pinelli / avec Arlequin et Pierrot; / la solitude de Madame Convergeais ; etc.... On trouve toujours le fleuron représentant le visage d'un faune et d'une nymphe échangeant un baiser, sur l'imprimé à Démocratis / aux dépens des fouteurs démagogues / 1792.


Il contient une introduction de 9 pages, quatre chapitres et quatre poésies lestes : à ma parfumeuse, le prèche, l'obstacle, conte et le passant.

Ce livre n'est pas cité par Drujon, dans son Catalogue des ouvrages, écrits et dessins de toute nature, poursuivis , supprimés ou condamnés mais il est cité par Alfred Rose dans son Register of Erotic books, New York, Jack Brussel, publisher, 1965, n° 1490, pp 111, tome I.

Après 40 ans de recherches chez les spécialistes parisiens et dans certaines collections privées, je l'ai trouvé, enfin, chez un libraire anglais, il y a peu de temps. J'en conclu , donc , qu'il était d'une insigne rareté !

Quelques photos... et un conte in extenso "Le bon père", conte bien inoffensif d'ailleurs !






Bonne nuit !
Vicomte Kouyakov

samedi 18 juillet 2009

Ciceron-ci, Ciceron-là ...


Le bel article du 17 juillet sur le Thesaurus cicéronien, nous rappelle combien Cicéron était tendance au cours de ce XVIeme siècle, et me donne envie de vous parler du petit pamphlet d’Ortensio Landi, le Cicero Relegatus, Cicero Revocatus ! (Fig. 1)

Fig. 1

Ortensio Landi, pour ceux qui ne connaitraient pas, est né à Milan vers 1512. Il est entré en religion, chez les Augustins, sous le nom de fra Geremia da Milano et s'est trouvé, entre 1531 et 1533, au couvent de San Giacomo Maggiore de Bologne. Après avoir quitté l'habit monacal il a fait des études de médecine, toujours à Bologne, puis, il a beaucoup voyagé tant à l'intérieur de l'Italie (Naples, Lucques, ...) qu'à l'extérieur (France, Allemagne, Suisse).

Vers 1531 il écrit sa première œuvre, le Cicero Relegatus, publiée en 1534 simultanément à Lyon et à Venise. La priorité de l'édition sortie de l'atelier de Gryphe sur celle imprimée à Venise par Melchior Sessa la même année s'expliquerait par le fait que Landi avait travaillé comme correcteur d'imprimerie chez l'illustre lyonnais.

A partir de 1555 sa trace est perdue. Il a écrit une trentaine d'ouvrages parmi lesquels un dialogue In Desiderii Erasmi funus et une variation en italien sur le thème de l’Utopia de Thomas More (que Landi a été le premier à traduire en Italien), le Commentario delle piu notabili e mostruose cose d'Italia e altri luoghi qui raconte le voyage à travers l'Italie entrepris par un habitant de l'île Utopia.

Ortensio Landi avait 20 ans lorsqu'il a écrit le Cicero Relegatus divisée en deux parties : l'exil de Cicéron suivi du rappel de Cicéron. Nous sommes dans le cadre de la polémique née à la suite de la publication du Ciceronianus d’Erasme (Faut-il imiter Cicéron? qui peut ou a pu imiter Cicéron? quelle est la limite de l'imitation de Cicéron, ...).

Le thème est très curieux et tient de la farce ( d’ailleurs Landi a mis comme sous-titre Dialogui Festivi) : deux étudiants, de retour au pays et apprennent la maladie d'un ami. Ils décident de lui rendre visite; ils le trouvent entouré d'une multitude d'amis et de connaissances qui rivalisent d'adresse et d'ingéniosité pour alléger ses souffrances en racontant des histoires et des fables, à la manière du Decameron. (p.7, (...) morbum facetis narrationibus aut lepidis fabellis alleuarent).
Interrogés par le malade sur ce qu'ils rapportent de neuf, ils citent des traités et des discours de Cicéron. Ils s'attendent à ce que cette nouvelle provoque de l'intérêt et de la joie auprès du cercle réuni mais ils doivent déchanter : c'est comme s'ils avaient annoncés un désastre ou même la fin du monde (p. 8, (...) ut uiderer magnam aliquam futuram cladem aut supremum aliquod exitium nunciauisse).

Une discussion vive s'engage à ce propos et, pour empêcher qu'on en vienne aux mains, le malade organise un tour de table demandant à ceux qui le veulent de donner leur avis sur Cicéron. Pas moins de huit intervenants vont énumérer, l'un après l'autre, les griefs qu'ils ont à formuler contre Cicéron. Ces griefs sont présentés et développés soit uniquement à partir de références à des œuvres de Cicéron, soit sous la forme de réminiscences ou même de citations directes puisées dans le corpus cicéronien.

Après la dernière intervention, l'assemblée conclut à la culpabilité de Cicéron et, après avoir délibéré sur la peine, décide de l'exiler en Scythie !

J’ose à peine vous montrer la reliure qui est un petit vélin tout simple et tout fripé, mais que j’aime néanmoins beaucoup, peut-être parce que son format ‘livre de poche’ permet de penser qu’il a du séjourner dans la pelisse herminé de quelques professeurs de lettres. Le relieur a puisé, comme souvent, dans son stock de vieux grimoires du XIV ou XVème siècle pour constituer sa reliure. (Fig. 2,3 et 4)

Fig. 2


Fig. 3


Fig. 4


Bonne Journée,
Textor

vendredi 17 juillet 2009

Mario Nizzoli ou Nizolius et le Thesaurus Ciceronianus (1572).




Pour faire suite au billet d'hier... en latin et en grec (on cherche toujours Venantius...),

chose promise, chose due, voici quelques informations sur l'ouvrage ayant appartenu à Johann Opfer, vers la fin du XVIe siècle.

Il s'agit d'un grand volume, in-folio, ayant pour titre :

"NIZOLIVS sive thesaurus Ciceronianus, omnia Ciceronis uerba, omnenq; loquendi atq; eloquendi uarietatem complexus : nunc iterum Caeli Secvndi Cvrionis labore atque industria, quarta parte auctior. Index quinetiam, in quo uulgaria uerba, & barbara quàm plurima, subiectis Ciceronis purissimis uerbis indicantur, & ipse non contemnenda accessione locupletatus. Adiecta est diuersorum Ciceronis exemplarium collatio, qua ceu Thesei filo in singulis, quae hîc citantur, inquirendis, uti citra negocium licebit."

Cet imposant volume sort de l'officine Hervagiana, à Bâle.

Imprimé sur deux colonnes, aux caractères serrés, en compte près de 1500. Soit environ 750 pages ou plus de 375 feuillets en comptant les feuillets préliminaires.

Que nous disent les sages sur cet ouvrage ?

Tout d'abord que cet ouvrage est l'oeuvre d'un seul homme : Mario Nizzoli ou Nizolius (nom latinisé), né en 1498 à Brescello ou à Boreto, campagne voisine de cette ville, dans le Modenèse, et mort dans la même ville en 1566, à l'âge de 68 ans.

Savant littérateur et philosophe estimable, nous dit Michaud dans sa biographie universelle, il fit ses études avec beaucoup de distinctions, et fut appelé, en 1522, à Brescia, par le comte J.-F. Gambara, protecteur éclairé des lettres, qui lui donna un logement dans sa maison, et ne cessa de le combler de marques d'intérêt. Ce fut par le conseil de Gambara, qu'il s'attacha particulièrement à la lecture des ouvrages de Cicéron, dont il fit ses délices le reste de sa vie.

La reconnaissance l'engagea à se charger de l'éducation des neveux de son bienfaiteur ; et il ne quitta Brescia que pour aller occuper une chaire à l'université de Parme, au commencement de l'année 1547.

Le prince Vespasien de Gonzague ayant établi, en 1562, une académie à Sabionetta pour l'enseignement des langues anciennes, il en offrit la direction à Nizzoli, avec un traitement de trois cent écus.

Nizzoli ne tarda pas à se repentir d'avoir accepté une place qui le détournait de ses occupations habituelles, et que ses infirmités l'empêchaient d'ailleurs de remplir aussi bien qu'il l'aurait désiré. Il présenta donc sa démission ; et se retira à Brescello.

Que nous a-t-il laissé ?

En 1535 il fait paraître ses Observationes in M. Tullium Ciceronem, in-folio. Le volume parait à l'adresse de Pratalboino, une terre de Gambara.

C'est la première édition d'un ouvrage qui en connaîtra de très nombreuses, et complétées à chaque fois.

C'est le recueil alphabétique de tous les mots employés par l'orateur romain, avec des exemples qui servent à en déterminer les différentes acceptions. Il dédia cet ouvrage à son mécène, qui l'avait fait imprimer à ses frais, dans sa propre maison. Cette première édition de 1535 est belle et rare, mais peu recherchée, parque qu'elle est moins complète que celles qui ont suivi.

Un édition de 1570 a été donnée par son neveu, Michel Nizzoli, corrigée sur les manuscrits de son oncle, elle porte alors un titre plus évocateur de Thesaurus Ciceronianus.

Ce trésor, nous dit encore Michaud, eut une grand vogue dans le seizième siècle. A peine avait-il paru, que les imprimeurs de Bâle et de Lyon, le reproduisirent.

Coel. Secundus Curion et Marcel Squarcialupi, en donnèrent des éditions augmentées, tombées dans l'oubli.

Michaud toujours (en 1822) indique qu'on fait alors encore cas des éditions de Jacques Cellarius, Francfort, 1613, in-folio, et que la meilleure des éditions de cet ouvrage, est sans contredit, celle que Facciolati a publiée, avec des augmentations, Padoue, 1734, sous le titre de Lexicon Ciceronianum.

Pour la petite histoire, oubliée aujourd'hui des vulgaires que nous sommes, le succès de cette compilation (véritable travail de galérien...), ne pouvait manquer d'éveiller la critique. Le célèbre Henri Estienne n'épargna ni l'auteur ni son livre dans deux dialogues intitulés : Pseudo-Cicero, et Nizolio-Didascalus.

Michaud ajoute que tout en convenant que l'ouvrage n'était pas exempt d'erreurs, et que la plupart des observations d'Estienne étaient fondées, il n'en n'est pas moins juste de dire que la lecture en pouvait être alors fort utile aux amateurs de la langue latine.

Nous passerons sur les autres ouvrages de Nizzoli qui n'ont pas laissé, comme le Thesaurus Ciceronianus, une marque aussi évidente.

J'ai lu par ailleurs et pour confirmer les derniers propos de Michaud, que cet ouvrage était devenu tellement à la mode que les étudiants, de nombreux érudits et autres gens du monde, lisait Cicéron dans le Nizolius... c'est à dire qu'en ne lisant que des extraits de phrases de Cicéron... Nizolius avait au moins réussi son pari de faire aimer et lire Cicéron, c'est certain.

Ce qui est encore une fois émouvant dans l'exemplaire que je vous décrit, c'est l'incroyable état de conservation de la reliure (vraisemblablement bâloise sans l'ombre d'un doute, et très probablement exécutée très peu de temps après l'édition de l'ouvrage, soit entre 1572 et 1580 je pense). Une reliure, un volume qui a échappé au temps, encore un ! Malgré plus de quatre siècles d'histoire mouvementée des pays, malgré les guerres, malgré les abominations humaines, malgré les catastrophes naturelles, les destructions en tous genres... ce livre est arrivé jusqu'à nous, en ce début du XXIe siècle, intact. Je sais que je vais me répéter, mais je le redis (pour ceux que cela touche la redite n'est pas faute), c'est émouvant !

Je vous laisse admirer la reliure.

Ah oui, une particularité pour cette reliure. Parfaitement conservée comme je vous le disais, il n'empêche qu'un amateur a cru bon au XVIIe siècle de recouvrir le dos (qui n'était pas absent - on le sent en dessous - et en bon état, ça se sent ... ), d'une basane brune avec fers estampés à froids dans les caissons. On distingue également encore un peu (mais à peine), le titre à l'encre sur le cuir. Ce qui donne au final un exemplaire assez étrange et peu commun, mixage de deux époques de la reliure, entre peau de truie estampée à froid dans la tradition bâloise et allemande (du milieu du XVe à la fin du XVIIIe siècle), mélangé à la tradition des reliures à dos ornés de fleurons (France notamment) au XVIIe et XVIIIe siècle.


Je vous laisse vous faire votre propre idée sur cette reliure et donner votre avis et vos remarques.

Et comme dit un dicton piémontais (ou aragonais... je ne sais plus...),

Temps pluvieux,
Bibliomane heureux !

Bonne journée,
Bertrand

jeudi 16 juillet 2009

Quelques érudits traducteurs de grec et de latin...


Petit billet. Je laisse aux érudits lecteurs et traducteurs de grec et de latin le soin de nous donner la meilleure traduction de ces quelques lignes placées en tête d'un grand volume in-folio imprimé à Bâle en 1572.

Cliquez sur l'image pour l'agrandir


Je vous en dirai plus sur cet ouvrage et la belle reliure qui le recouvre... demain !

Bonne journée,
Bertrand

Vous fréquentez le Bibliomane moderne ? Sondage.


Cher(e)s ami(e)s lecteurs et lectrices du Bibliomane moderne,

que vous soyez arrivé sur ce blog par hasard ou avec la ferme intention de nous être fidèle pour les années à venir... l'équipe du Bibliomane moderne s'interroge sur vos habitudes de fréquentation de ce site qui va bientôt fêter sa première bougie à la fin de l'été.

Vous trouverez donc, dans la colonne de gauche, toute une série de questions pas indiscrètes du tout, puisque anonymes, qui nous permettront d'en savoir un peu plus, tous ensemble, sur les habitudes de fréquentation des lecteurs du Bibliomane moderne.

A vos "cases à cocher" !!

Nota : vous pouvez cocher plusieurs cases (tant que les réponses restent logiques et concordantes). Par exemplaire vous pouvez cocher "Une ou plusieurs fois par semaine" ET "depuis plusieurs mois". Vous avez jusqu'à la fin de l'été pour vous prononcer. Attention ! Un seul vote par visiteur est autorisé, normal.

Bonne soirée bibliophile,

demain je vous annonce déjà du très chaud-bouillant tout droit sorti des méninges du Vicomte Kouyakov...

mercredi 15 juillet 2009

Dans le scriptorium : Lettrines peintes et rubrication.


Après l’atelier de l’imprimeur vu par Josse Bade, voici celui des enlumineurs illustré par leurs dernières productions à la fin du XVeme siècle.

Pendant une longue période allant de l’effondrement de l’empire romain au XIIIeme siècle, la production des livres trouve refuge dans les grands centres religieux d’occident. La fabrication et la copie des ouvrages sont encouragées par la règle de St Benoist qui prescrit la présence de livres au sein des monastères. Les abbayes se dotent d’un atelier de copie, le scriptorium, une pièce ouvrant sur le cloitre et parfois chauffée. L’Armarius, responsable de la bibliothèque dirige le travail des scribes. Une division du travail s’instaure entre le copiste, le correcteur, le rubricateur, l’enlumineur et le relieur.

L’essor des écoles épiscopales puis de l’université fait sortir le copiste des monastères et des ateliers urbains s’organise autour du librarium, pour faire face à la demande croissante en ouvrages d’études.

Les premiers imprimeurs avaient le souci de rester au plus près du livre manuscrit, probablement pour ne pas trop choquer leurs clients avec cette nouveauté, mais aussi parce que la profession des copistes et des rubricateurs, dotée de privilèges, a du sérieusement souffrir de cette révolution.

Ainsi les caractères cherchèrent à imiter l’écriture et la mise en page réservait des espaces pour reprendre à la main les lettrines autrefois richement ornées d’entrelacs, de feuillage ou de figures zoomorphes.

L’enlumineur (mais à cette époque il serait plus juste de l’appeler « peintre en lettres » !) reçoit la feuille déjà imprimée sur laquelle des espaces ont été délimités par l’imprimeur pour qu’il puisse y réaliser ses peintures.

Il est doté d’une plume ou d’un calame (de roseau), d’un canif pour tailler la plume, d’un grattoir, d’une pierre ponce, d’un crayon de plomb. Ses couleurs sont obtenues à partir de substances végétales ou minérales, (la noix de galle pour le noir, l’hématite, le carmin ou un sulfure de plomb (le minium qui a donné le mot miniature) pour le rouge, le pastel pour le bleu).

L’ouvrage présenté pour illustrer ce travail de lettrines peintes et de rubricature est une des premières éditions de l’Histoire Naturelle de Pline l’ancien, imprimée à Venise par Rainaldus de Novimagio, le 6 juin 1483. (Fig 1 et 2). Le choix fut difficile parmi les centaines de lettrines de cet ouvrage !


N'oubliez pas de cliquez sur les images pour les agrandir et profiter pleinement des détails.

Fig. 1


Fig. 2

Les traités d’écriture évoquent l’emploi de plumes de canard, de corbeau, de cygnes, et même de vautour, mais entre toutes, c’est la plume d’oie qui est préférées des enlumineurs. Ils précisent qu’il est préférable d’utiliser la troisième ou la quatrième plume sous l’aile gauche d’un jars (facile !). La taille de la plume aura une influence sur le style, une taille biseautée à gauche favorisant la réalisation de pleins et de déliés, une taille symétrique permet des verticales accentuées et des horizontales plus fines. (Fig 3 et 4)

Fig. 3


Fig. 4


La rubricature avait une fonction pratique issue des origines de la lecture. La lecture à voie haute dans le réfectoire des moines imposait de repérer rapidement les pauses (Il n’y avait pas de prompteur !) Le passage à la lecture silencieuse et privée au XIIIème siècle et l’apparition progressive de la ponctuation, à partir du Nord de la France, n’a pas fait disparaitre l’usage de la rubricature, devenu plus ornementale que réellement utile. (Fig 5 et 6)

Fig. 5


Fig. 6


Voici encore quelques pages pour terminer. Mes références ont été prises dans le très intéressant ouvrage de vulgarisation de Sophie Cassagnes-Brouquet, « la Passion du Livre au Moyen Age ». Et pour compléter vos connaissances, si vous êtes en vacances dans l’Ouest, vous pouvez faire un détour par le magnifique musée du Scriptorium d’Avranches, qui présente une sélection de manuscrit de l’Abbaye du Mont St Michel. (Fig 7, 8, 9, 10)

Fig. 7


Fig. 8


Fig. 9


Fig. 10


Bonne Journée,
Textor

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