samedi 31 janvier 2009

Les artisans illustres (de la reliure) en 1841.


Désolé pour le retard dans la publication de ce jour (pour les plus accrocs des flacons de méthadone sont à disposition au coin de la rue...)

Message court. Évocation de relieurs du milieu du XIXe siècle.

C'est dans l'ouvrage : "Les artisans illustres, par Edouard Foucaud, sous la direction de Messieurs le Baron Ch. Dupin et Blanqui ainé. Paris, Béthune et Plon et Gaudin, libraire, 1841" Volume in-8 fort sympathique qui s'intéresse de près, à travers les siècles, aux humbles, aux ouvriers, aux artisans, bref, un livre passionnant qui mériterait d'être lu ou relu par nos brillantes élites (euh... il y a pléonasme là non?).

Cet ouvrage est de plus fort bien imprimé et décoré à chaque page d'un joli encadrement gravé sur bois.


Voici ce qu'on peut lire aux pages 613 à 617 :

" (...) Tandis que les presses françaises produisent des ouvrages qui font honneur à nos premiers typographes, la reliure fait aussi d'heureux efforts pour atteindre la perfection. Les Simier et les Thouvenin ont été longtemps à la tête de cette industrie. Maintenant de nouveaux artistes méritent d'être associés à cet honneur. H en est un surtout qui, au jugement de tous ses confrères, se montre supérieur dans toutes les parties de son art. Toutes les reliures qui sortent des mains de M. Bauzonnet sont vraiment admirables, et n'ont rien à craindre de la critique des connaisseurs les plus difficiles.

M. Koehler, qui a obtenu aux expositions dernières des médailles d'argent, est le chef d'un établissement dans lequel s'exécutent de fort belles reliures. Ces reliures se font surtout remarquer pour la précision et le talent avec lesquels sont appliqués des ornements désignés sous le nom de petits fers, ornements qui sont rapportés à la main pour former un dessin complet avec une infinité de parties séparées; c'est un vrai mérite d'artiste. C'est ce qui fait dire au rapporteur du jury central de 1834 : « Les reliures de M. Kœhler sont au rang des plus belles que l'on connaisse en Europe ; il n'existe pas dix volumes qui puissent disputer le 1er prix aux quatre Évangiles dont la couverture est ornée par son art. »

M. Boutigny se recommande par une spécialité qu'il a introduite dans la reliure française. C'est lui qui a naturalisé le kepseake en France. Il était déjà connu comme habile relieur depuis 1832, lorsqu'il conçut l'idée de prouver que l'on pouvait avec succès entrer en concurrence avec les relieurs anglais, pour l'exécution des kepseakes. On sait que l'on donne ce nom à une reliure d'un genre tout particulier, qui consiste en un emboîtage fait avec beaucoup d'art. M. Boutigny, à force de travail, est parvenu à réaliser ce que, jusqu'à lui, on avait cru impossible. Grâce à son talent et aux procédés qu'il emploie, aujourd'hui son emboîtage est infiniment supérieur à celui des relieurs anglais, et il a pu établir ses keepsakes à des prix très- minimes comparativement aux leurs. Par cette heureuse innovation, M. Boutigny a rendu un très-grand service à la librairie. Son établissement est le seul dans Paris qui soit monté de manière à entreprendre et exécuter de grandes commandes de kepseakes. C'est de là que sortent, à l'époque des étrennes, tous ces beaux et riches volumes ornés d'illustrations qui figurent avec tant d'avantage sur les étalages des magasins à la mode. Nous citerons pour exemple le bel ouvrage intitulé : Paris-Londres. Kepseake français.

M. Boutigny réunit à celte spécialité, qui a fait sa réputation, tous les autres genres de reliure, qu'il exécute aussi d'une manière qui témoigne de son talent.

M. Germain-Simier se montre digne du nom qu'il porte. Son établissement s'est acquis une réputation méritée par l'activité de ses ateliers et la belle exécution de ses reliures. L'ensemble de son matériel en l'ers, instruments et matrices d'une régularité parfaite et du meilleur goût, lui permet de varier ses reliures à l'infini, depuis les demi-reliures simples jusqu'à ces riches reliures que demande le luxe opulent, et qui donnent tant de prix aux présents que se font entre eux les grands personnages.

En 1836, M. Germain-Simier a envoyé quelques-uns de ses plus beaux ouvrages à l'exposition du Mans, sa ville natale. On lit dans le rapport général sur cette exposition : « C'est bien à propos d'œuvres semblables qu'il faut parler d'art et non de métier. La richesse de ces dessins, la pureté de ces formes, l'éclat de ces couleurs et de ces dorures, font de la reliure, ainsi traitée, un art qui, grâce aux efforts des Thouvenin et des Simier père, ne le cède à aucun autre, pour l'imagination, la poésie et le goût. M. Germain- Simier marche avec avantage sur les traces de ces noms célèbres. Cinq reliures principales flgurent sous son nom. Parmi ces cinq reliures se trouvait un album, grand in-4°, colombier anglais, maroquin-Corinthe, et charnières en maroquin ; les deux plats étaient ornés d'une plaque à petits fers dans le style moyen-âge; des pointillés en or, de diverses couleurs, ornaient les réserves; et les contre- gardes, entièrement en maroquin , avaient pour ornements deux oiseaux faits à petits fers. « Ce dernier genre de dorure, est-il dit dans le rapport, est tout-à-fait nouveau. On se contentait jusqu'ici d'appliquer sur le maroquin des dessins ornementaux; c'est un grand mérite d'invention pour M. Germain-Simier d'avoir eu l'idée d'y ajouter des oiseaux, et surtout de les avoir exécutés avec une pareille habileté. C'est d'un lini et d'une délicatesse qui surprend, lorsqu'on pense que l'artiste n'a en main qu'un fer chaud au lieu d'un crayon. Les ornements des deux plats sont du luxe le plus distingué; ces pointillés de diverses couleurs leur donnent un grand éclat. La dorure des feuilles est si brillante qu'elle ressemble à une plaque d'or. » M. Germain-Simier avait aussi exposé, et c'était son ouvrage capital, le Missale Cenomanense, volume grand in-folio, sur lequel il avait prodigué toute la richesse et l'élégance de la reliure moderne. En résumé, les ouvrages de cet habile relieur, non-seulement se distinguent par leur richesse, leur bon goût, leur nouveauté, mais encore se recommandent par leur solidité, et parle talent avec lequel les dos sont brisés et cependant maintenus. (...)

Je vous laisse sur ces belles paroles ou ces belles écritures pour être plus juste, qui se trouvent dans une hardie épître "aux ouvriers", placée en tête de l'ouvrage :

"Dans le métier, il existe deux sortes d'illustrations généralement mal appréciées : L'une consiste dans le travail d'un homme riche; ou hautement placé dans la société ; c'est à dire lorsque cet homme, soit par caprice, soit par désoeuvrement, a consenti à passer quelques courts instants de sa vie à un exercice manuel. (...) L'autre consiste dans un travail de chaque jour, de chaque heure, de chaque minute. L'homme qui se livre à ce travail ne porte pas de gants ; ses mains sont calleuses ; son visage est fatigué. Ne cherchez dans son intérieur aucune trace de luxe ; les murs sont nus ; les fenêtres ne sont pas tendues de soie. Maintenant, dites-moi quelle est la véritable illustration du métier ? Croyez-moi, l'illustration du métier ne consiste pas dans le travail capricieux des mains blanches et parfumées du noble et du riche ; elle se trouve toute entière dans le travail continu des mains épaisses et durcies de l'artisan et du pauvre. (...)"

Au delà d'un très joli et intéressant ouvrage, cet ouvrage est un véritable éloge du prolétariat, et ce en 1841. Un deuxième volume devait paraître... il ne parut jamais (cf. Brivois).

Bonne soirée,
Bertrand

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